Voiture autonome, responsabilité et assurance : quels changements pour les victimes ?

Une révolution technologique…

Alors que les acteurs du marché du véhicule autonome sont lancés dans une course à coups de milliards de dollars, un accident survenu le 18 mars 2018 en Arizona (Etats-Unis), relance le débat sur la sécurité de ces technologies. Un véhicule (semi) autonome de la Société UBER, a percuté une personne qui traversait la route, la blessant mortellement. Nulle intention, ici, de se prononcer sur le caractère inévitable ou non de cet accident, ni même sur la mise en cause de la technologie embarquée dans ce véhicule. La question abordée est plus générale.

La voiture totalement autonome n’existe pas encore et, si les projets des géants de l’informatique et de l’automobile semblent de plus en plus concrets, nous pouvons attendre encore des années pour que ces systèmes soient autorisés et, donc, activés sur les routes Françaises. Il faudra sans doute encore plus de temps avant que le parc automobile français ne commence à se renouveler suffisamment pour que le phénomène devienne concret dans nos vies quotidiennes.

… pour une continuité juridique ?

Mais une question est déjà fréquemment posée au sujet de ces voitures autonomes, concernant la « responsabilité » en cas d’accident. Durant les phases d’autonomie du véhicule, qui engagera sa responsabilité ? Le conducteur, l’utilisateur, le constructeur du véhicule ou encore le concepteur du système de gestion informatique ?

La question est bien plus large qu’il n’y paraît et elle est souvent abordée sans méthode. Tout d’abord, de quelle responsabilité s’agit-il ? Pénale ou civile ? De quel point de vue est-elle envisagée ? De celui de la victime qui cherche un débiteur, de celui de l’utilisateur face à un dysfonctionnement technique, de celui de la Société qui voudra trouver un responsable ou de celui de l’assureur qui veut exercer un recours ?

Concentrons-nous sur la problématique de la responsabilité civile, puisque c’est elle qui, au premier plan, intéresse la victime d’un accident.

Des véhicules impliqués et des victimes indemnisées :

En la matière, les règles sont aujourd’hui fixées par la fondamentale Loi « Badinter » du 5 juillet 1985, laquelle ne mentionne qu’à peine le terme de « responsabilité ». Ce n’est pas un oubli, c’est un choix délibéré : les problématiques sont abordées sous le terme de « droit à indemnisation », d’« implication du véhicule » et de « faute du conducteur ».

Il faut savoir, par ailleurs, que ce qui est assuré en France, pour ce qui concerne les dommages causés aux tiers, ce sont les véhicules eux-mêmes (les véhicules terrestres à moteur pour être précis), non le propriétaire du véhicule, ni même le conducteur. Que le véhicule soit conduit par son propriétaire, qui est généralement le souscripteur de l’assurance, un membre de sa famille, régulièrement déclaré auprès de l’assureur, un ami – à l’inverse non déclaré, ou même l’indésirable voleur du véhicule, les conséquences d’un éventuel dommage causé à un tiers devront être indemnisées par l’assureur lorsque le véhicule assuré est impliqué.

De ce point de vue, que l’utilisateur ait les mains sur le volant de son véhicule traditionnel ou soit au beau milieu d’une sieste, transporté par son véhicule autonome, la victime d’un accident (en dehors de l’utilisateur lui-même), bénéficiera du même droit à indemnisation. En définitive, la Loi « Badinter » semble pouvoir s’appliquer sans difficulté aux accidents dans lesquels seront impliqués un ou plusieurs véhicule(s) autonome(s).

Des adaptations pour une évolution inévitable :

Il est vrai, cependant, que la question de la « responsabilité » se posera pour l’utilisateur-conducteur du véhicule autonome lui-même, s’il est blessé, puisque son droit à indemnisation est susceptible d’être limité en fonction de son comportement. Mais la question se posera dans les mêmes termes qu’aujourd’hui : a-t-il commis une faute – de conduite ou de comportement – à l’origine de ses dommages ? Etant donné que c’est à l’assureur qui entend limiter le droit à indemnisation, d’apporter la preuve de cette faute, il y a fort à parier que des relevés des données enregistrées par le système seront systématiquement réalisés. L’objectif sera de déterminer si, au moment de l’accident, le véhicule était en fonctionnement autonome et, le cas échéant, s’il n’aurait pas dû être sous contrôle humain.

Quant aux garanties corporelles incluses dans certains contrats au bénéfice du conducteur, elles comportent déjà un certain nombre de clauses d’exclusion relatives au comportement de l’assuré. Les Compagnies d’assurance, vont donc très probablement prévoir de nouvelles clauses d’exclusion, adaptées aux technologies propres à chaque véhicule, selon son degré d’autonomie.

Aujourd’hui, il est incontestable que l’immense majorité des accidents de la circulation est causée par des fautes ou erreurs humaines et une infime minorité par des dysfonctionnements techniques. L’objectif annoncé des constructeurs de véhicules autonomes, c’est justement une quasi-élimination des risques d’accident.

Ainsi, les assureurs y trouveront certainement leur compte. Il faut comprendre qu’une Compagnie d’assurance raisonne toujours selon les statistiques et les « grands nombres ». C’est même sa raison d’être : mutualiser les risques grâce à un nombre important d’assurés. Si les études démontrent que les véhicules autonomes causent moins d’accidents que les autres, ils reviendront moins chers à assurer et des contrats adaptés seront rapidement proposés.

Et le tumulte médiatique suscité par le décès d’une personne causé par une voiture autonome – étant précisé que la mortalité routière s’établi actuellement en millions de morts par an dans le monde entier – n’y changera rien.

Matthieu Lehman